jeudi 27 février 2014

Le dévoilement de pourim



Dans le Rouleau d’Esther, la situation des personnages se reflète dans leurs vêtements. Apprenant le décret d’Haman d’exterminer tous les juifs, Mardochée déchire ses habits et se couvre d’un sac. Il demande ensuite à la Reine Esther de défendre les juifs auprès du Roi Assuérus. Elle refuse, car si elle s’aventure au Palais sans y être conviée, elle risque sa vie. Or, elle n’a pas été appelée depuis trente jours. Mardochée lui fait observer que sa position de Reine en cette heure de détresse la place au premier plan de l’Histoire. Elle doit assumer cette responsabilité. Si elle prétexte ne pas pouvoir, c’est elle qu’elle exclue de l’Histoire de la délivrance. Le texte précise alors qu’avant de se rendre chez le roi, Esther se “vêtit de Royauté”. Mardochée l’incite à retrouver sa « Royauté » intérieure, cette majesté qui consiste à se sentir responsable du sort des autres en exprimant pleinement sa personnalité propre. Esther a le courage d’être elle-même. Les précieux vêtements qu’elle porte couvrent son corps et découvrent son âme. Dans la nuit qui suit, le Roi n’arrive pas à dormir. Il demande à Haman le moyen d’honorer la personne que le Roi estime le plus. Haman conseille à Assuérus de lui faire porter les vêtements royaux. Il pense qu’ils lui seront destinés mais finalement Haman revêt Mardochée des habits royaux, après lui avoir retirer son sac de deuil.
Cette importance accordée au vêtement se trouve déjà dans la Genèse. Après leur faute, découvrant leur nudité, l’homme et la femme se couvrent des feuilles de figuiers et se cachent. D. appelle alors Adam. "Où es-tu ?" Mais il ne reconnaît pas sa faute. L’E-ternel l’interroge alors :
“Qui t’a dit que tu étais nu ? Est-ce de l’arbre dont je t’ai ordonné de ne pas manger, que tu as mangé ?”
D’après le Talmud un autre personnage se cache dans ce récit :
Où trouve-t-on Haman dans la Tora ? Il est écrit “hamin ha’ets / est-ce de l’arbre”. (Houlin, 139b)
Le mot « hamin » peut se lire Haman. Ce n’est pas un simple jeu de mots. Dans le Rouleau d’Esther, la potence est désignée par le terme « ha’ets » / l’arbre. « L’arbre » est donc présent dans l’histoire d’Adam comme dans celle d’Haman, pendu à la potence qu’il avait préparée pour Mardochée. Le Rav Weingort explique le lien entre ces deux arbres. Bien qu’interdit, la femme voit que l’arbre est « bon à manger » parce que le serpent a renversé les concepts du Bien et du Mal. Le bien et le mal sont perçus instinctivement au lieu de l’être dans l’absolu. Haman agit comme le serpent. Il persuade Assuérus de commettre la pire des atrocités en qualifiant cet acte de bon.
S’il est bon pour le Roi, qu’il soit écrit de les anéantir. (Es., 3, 9)
De même, il désire pendre Mardochée, l’homme qui a sauvé le Roi. Mais le miracle de pourim c’est le renversement de la situation. L’arbre sur lequel devait être pendu le juste sert de potence au méchant. Enfin, « un éclair de connaissance dissipe le brouillard répandu par le serpent, l’arbre de la confusion du Bien et du Mal redevient l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal ». [1]
Finalement, après leur avoir reproché leur acte, l’E-ternel fait à l’homme et à la femme des tuniques de peau. Les feuilles de figuiers ne suffisent pas. Le vêtement offert par D. n’a pas pour seule fonction de couvrir la nudité ou de protéger du froid ou d’autres agressions. Il rappelle à l’humain, comme Mardochée à Esther, que l’être humain est porteur d’une mission. Faire le choix de son vêtement revient à faire le choix de sa personnalité, faire le choix entre le bien et le mal.
En nous déguisant à pourim, nous choisissons, sans gêne, notre vêtement. On découvre parfois que c’est toute l’année que l’on se cache sa personnalité. Se masquer revient à se dévoiler. Le même but est recherché par le vin ; savoir qui l’on est. Le zohar dit bien que le jour de kippour est comme pourim / ké-pourim. D’ailleurs, en ayant le courage de se découvrir, Esther découvre l’E-ternel :
Où trouve-t-on Esther dans la Tora ? Il est écrit : “haster astir panaï / Je cacherai ma face” (Houlin, 139 b).
Dieu n’est pas absent. Comme on se couvre d’un vêtement, l’E-ternel se dissimule derrière les lois du hasard et de la politique et à l’intérieur des femmes et des hommes qui se recherchent, qui Le recherchent. La méguila couvre D. autant qu’elle le découvre (méguala).



[1]Weingort A., Responsabilité et sanction en droit talmudique et comparé, Droz, Genève, 1998, p. 88.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Rechercher dans ce blog